« La difficulté attire l’homme de caractère, car c’est en l’étreignant qu’il se réalise lui-même. » Charles De Gaulle

Extrait du livre « Les Vertus de l’Echec » de Charles Pépin, philosophe français

  • L’échec pour apprendre plus vite

Il est des victoires qui ne se remportent qu’en perdant des batailles – énoncé paradoxal mais qui contient quelque chose du secret de l’existence humaine. Hâtons-nous donc d’échouer, car nous rencontrons le réel plus encore que dans le succès.

Parce qu’il nous résiste, nous le soumettons à la question ; nous le regardons sous tous les angles. Parce qu’il nous résiste, nous y trouvons un appui pour prendre notre élan.

  • L’erreur comme moyen de comprendre

L’erreur ne permet plus simplement d’apprendre plus vite : l’erreur rectifiée devient, pour le savant, le seul moyen d’apprendre, le seul chemin, pour découvrir la vérité. Un savant qui ne rencontre pas de problème, qui ne se heurte pas à l’échec de sa première intuition, ne trouvera jamais rien. Ainsi Thomas Edison était fasciné par tout ce que ces échecs lui apprenaient des lois de la nature. Il savait qu’il fallait échouer pour réussir ensuite, que jamais aucun savant n’avait perçu une vérité au premier coup d’œil. Une expérience qui invalide une théorie permet donc de progresser de façon plus décisive dans la connaissance qu’une expérience réussie

  • La crise comme fenêtre qui s’ouvre

Trop souvent, nous voyons l’échec comme une porte qui se ferme. Et si c’était aussi une fenêtre qui s’ouvre ?

C’est en tout cas le sens étymologique du mot crise, qui vient du grec « krinein » signifiant « séparer ». Dans la crise, deux éléments se séparent, créant une ouverture, un espace dans lequel il va devenir possible de lire quelque chose. Au sens propre, une « faille » : une ouverture qui donne à voir. Les grecs utilisaient le terme « kaïros » pour désigner ce moment où le réel se révèle à nous de manière inédite, « kaïros » pouvant se traduire par « occasion favorable » ou par « moment opportun ». Affirmer que la crise est un « kaïros », c’est la voir comme une occasion de comprendre ce qui était caché, de lire ce qui est recouvert.

Le « mode échec » est souvent le point de départ d’une réflexion, d’une compréhension. Il ouvre des questions que nous ne nous serions pas posées. Qui ne s’est jamais retrouvé en panne, en rase campagne, à ouvrir le capot d’une voiture, en se demandant pour la première fois comment marche un moteur ? Ici encore, c’est quand cela ne marche pas que nous nous demandons comment cela marche. Reconnaissons que nous ne nous posons pas la question lorsque nous roulons à grande vitesse et que la route défile sous le soleil. Tout à notre ivresse, nous nous laissons porter.

La sagesse de l’échec commence par la première panne : le capot s’ouvre comme une fenêtre sur le fonctionnement du moteur.

  • L’échec pour affirmer son caractère

Le philosophe Hegel nous montre dans son œuvre des forces à l’œuvre qui ont besoin de ce qui s’oppose à elles, de ce qui les « nie » pour se révéler à elles-mêmes comme forces. Autrement dit, un esprit a besoin de son contraire pour savoir qui il est. La dialectique désigne donc l’inséparabilité des contraires et le dépassement final de leur opposition. C’est lorsque je confronte ma conviction à une conviction contraire que j’en rends pleinement conscience. La force de vie devient inséparable de l’adversité, et leur opposition se trouve dépassée, « dialectisée », dans le mouvement même de la vie. L’échec est le contraire de la réussite, mais c’est un contraire dont la réussite a besoin. Si Hegel a raison, si la dialectique désigne en effet la vérité de tout processus, alors cette opposition dynamique peut devenir le moteur même de notre progrès : Sans force de négation, il ne peut y avoir de force de l’affirmation

  • L’échec comme leçon d’humilité

Le mot humilité vient du latin « humilitas » dérivé de « humus » qui signifie « terre ». Echouer, c’est souvent en effet « redescendre sur terre », cesser de se prendre pour Dieu ou pour un être supérieur, guérir de ce fantasme infantile de toute-puissance qui nous conduit si souvent dans le mur. C’est reprendre pied, réapprendre à se voir comme on est, avec réalisme, ce qui peut être un solide atout dans la construction d’une existence réussie. La leçon d’humilité que nous offre l’échec est l’occasion de mesurer nos limites, tandis que le délire narcissique ou l’illusion de toute puissance nous éloignent de cette prise de conscience.

  • L’échec comme expérience du réel

L’échec nous offre la chance de nous rendre enfin à l’évidence : il y a bien en face de nous quelque chose qui s’appelle le réel. Difficile de le nier lorsque nous nous sommes battus, avons fait de notre mieux mais avons échoué quand même. « Ce qui dépend de toi, c’est d’accepter ou non ce qui ne dépend pas de toi » Epictète

Conclusion

Mais le mot « échec » viendrait peut-être, plus simplement, du vieux français « eschec », terme apparu au 11ème siècle et qui désigne le butin. Le butin c’est ce qu’une armée prend à l’ennemi, le produit d’un vol, ou la récolte d’un botaniste : dans tous les cas, il est signe de victoire. Il est tentant de croire à cette étymologie, car c’est elle qui nous guide le mieux vers la sagesse de l’échec.

Nos échecs sont des butins, et parfois même de véritables trésors. Il faut prendre le risque de vivre pour les découvrir, et les partager pour en estimer le p